vendredi 28 mai 2010

Rome vue par un ami de passage

Ce mot tardif pour te remercier, mon cher Jean, pour ce séjour un peu prolongé dans ton palais romain, et pour l'amitié dont ton hospitalité témoigne. Mes remerciements doivent te paraitre lointains, après les nombreuses visites qui se sont succédées depuis.
Cette visite romaine que nous avons renouvelée cette année grâçe à toi constitue un pèlerinage attachant et bien agréable.
Rome a pour les étrangers le charme paradoxal d'une capitale de province, encombrée mais sans stress (peut on imaginer des italiens stressés? Il n'y a rien qu'ils supportent plus mal), pittoresque d'un exotisme d'autant plus dépaysant qu'il est familier, non géographique mais temporel, comme les retrouvailles physiques de racines oubliées.
A défaut d'ouvrir directement le ciel, comme les fresques du père Pozzo, Rome, avec laquelle mes premiers contacts estudiantins ont pourtant été froids - ville bruyante aux artères modernes tonitruantes de moteurs et de klaksons, et aux habitants indifférents - m'apparait aujourd'hui comme une cité à mon image, un peu racornie malgré ses ravalements, nourrie de mythes anciens et trop tournée vers le passé, qui continue pourtant à rêver.
Rome est sûrement plus profonde qu'elle parait, mais elle subit la punition d'une époque qui a voulu séduire la foi par l'apparence, sinon par l'illusion. Pour celui qui passe, elle est la cité des prélats - toges pourpres à l'instar des anciens sénateurs - et des carabinieri, aux bottes lustrées, bouffants de culottes et de moustaches. A la Renaissance, c'était déja un musée à ciel ouvert, même sous les coupoles de ses églises, que l'on visite toujours avec allégresse, sans l'accablement qui, selon Stendhal, submerge les touristes à Florence. Florence est une ville "mondaine", riche et sérieuse, comptable, industrieuse et commerçante, tournée vers le faire et l'avenir, ce pourquoi elle intimide. Rome est ouverte vers l'ailleurs. A la manière des orants de ses tombeaux, pantelants de chairs de marbre, elle veut convaincre de la vanité du monde. Aux croyants elle offre le vertige de ses envols. Mais elle met tant d'affluence, d'abondance, d'exubérance à proclamer la vacuité des choses, que le visiteur finit par se demander si le paradis n'est pas finalement descendu sur terre et qu'on l'y trouve là bas! La figuration romaine du paradis ou de l'enfer ne nous en a t-elle pas finalement dépossédés? Au fond Rome lutte contre le doute (la Réforme est passée par là), alors que Florence ne doute de rien.
Peut être Rome nous offre-t-elle à rebours une leçon d'Islam! Mais elle dispense un tel plaisir, comme les patisseries crèmeuses qu'on y trouve, qu'il n'est plus possible que la gourmandise ou la volupté qu'on éprouve à voir, similaire à celle des extases figurées par les grands sculpteurs baroques, puisse constituer un péché. Si elle n'est une confession, Rome est assurément une absolution. C'est sûrement la raison pour laquelle tant de visiteurs l'aiment et se précipitent sur ses ors, ses ordres et ses marbres.
La visiter de surcroit dans un cadre presque familial et le refuge d'une maison ancienne, encore aujourd'hui pétrie de cuisine domestique, à base de pizzas, de légumes frais, de fromages crèmeux, de charcuterie canaille, de vins charpentés, d'anchois (très) faisandés et d'une solide dose d'ail, confirme le sentiment d'un cadeau divin, dont mon cher Jean, tu t'es fait le définitif et révéré mystagogue. Il est bien agréable d'y être enraciné au terreau d'un immeuble renaissance, des bouchers, des bornes vélocipédiques, et des restaus cacher. Chaque visite chez toi forme un massage de compost indigène, dont on ressort enduit de tomates odorantes, de basilic exquis, de mozarella de bufffala et de thon rouge dont la pêche est proscrite. Quelle volupté de s'associer à l'éradication de races en péril, surtout chez un fonctionnaire international chargé de la préservation des milieux menacés. J'ai pratiqué voluptueusement l'un et l'autre (le massage et l'éradication), non sans me passionner pour la deuxième année consécutive pour le récit en image de notre héroine nationale, fourbement brûlée par ces chacals de ... Il est bon, surtout en milieu étranger, de continuer à entretenir les antagonismes nationaux, sans laquelle l'identité se perd.
Encore merci mon cher Jean pour toute cette voluptueuse pédagogie, et pour ce séjour si parfaitement Romain que j'ai couronné par mes séjours nocturnes dans ta catacombe, dont je suis sorti quasi ressuscité.

Ma fonction internationale m'interdit de révéler à quelle Nation l'auteur fait allusion.

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