dimanche 12 août 2007

Souvenir de voyage à Madagascar

Jean Gault Paris le 24 Août 2006

28 av. Bosquet
75007 Paris

RN7

Madagascar : impressions de route



L’avion (« Boeing » est aussi un prénom, comme « Michelin », « Sheila », « Flaubert »…) survole d’épais bancs de nuages, mais par endroits une trouée laisse voir la terre : une lamentation.

Ce ne sont que cailloux, sols pelés, rivières gonflées de boue rouge (ces nuages ont bien produit la pluie), qui charrient à la mer la matière vive du pays : sa terre, comme des veines videraient un corps de son sang. Malgré l’altitude, on devine une végétation étique : ce que confirmeront les randonnées. La belle forêt primaire tropicale a disparu en moins de 100 ans, sur plus de 80% de la Grande Ile. (Il reste seulement 14 % de la superficie couverts de forêts, + 3% de parcs nationaux et réserves [également très verdoyants]). Les Malgaches comptent parmi les peuples les plus pauvres du monde ; il est vrai que leurs modes de vie n’ont guère évolué depuis le Néolithique… Le riz est pilé au mortier, les champs retournés avec un ancêtre de la bèche…On cultive toujours sur brûlis, ou l’on y fait paître ses zébus également. Car l’herbe ou les arbustes qui repoussent sont plus tendres et plus nourrissants (les Corses ont aujourd’hui encore leurs funestes incendies pastoraux…). Et tant pis pour la forêt ; quand bien même elle tenterait une régénération partielle, elle n’aurait aucune chance : le feu sera rallumé bientôt !

Je ne puis m’empêcher de penser à travers le hublot : pas de forêts = pas de Loi = pas de véritable élite. Le pays ne doit pas tourner bien. De fait , un commandant de Gendarmerie que nous prendrons plus tard en stop nous le confirmera : la Gendarmerie ne paye pas leurs uniformes à ses soldats ni à ses officiers (elle ne les leur fournit pas), ni leurs bottes, ni leurs galons. Dans la circonscription où nous étions, le commandant ne disposait d’aucun véhicule. Pratique pour faire régner l’ordre ! Son explication : « L’aide étrangère est détournée, elle est ponctionnée par les hauts fonctionnaires malgaches ». Pendant ce temps, les prix mondiaux des matières premières montent (pétrole !), et les gens ordinaires, qui gagnent peut-être 250.000 FMG[1]/mois, ne peuvent plus se payer le taxi-brousse : ils restent dons scotchés à leur coin natal.

Les élites ont failli dis-je : la Coloniale, sur ce chapitre, n’avait pas mieux fait ; déjà, entre deux guerres, les Eaux et Forêts déploraient les feux… Peut-être les réprimaient-ils mieux ?


*****

(à suivre)

La mer ne tremble pas, l’air est transparent, et bleu comme sur la Côte d’Azur avant le printemps : un bleu intense, sans nuance d’un bout du ciel à l’autre. Seule la température rappelle que, malgré la saison (c’est la fin d’hiver précisément), nous sommes près du tropique du Capricorne : à 10 h du matin,il fait près de 30°C. Je flâne à l’intérieur de cette carte postale, chantant Gabriel Fauré spontanément : « Requiem aeternam, dona eis Domine… », ressentant en vérité : « Tu nous donnes une paix immense… ».

Tout à coup, sur ma gauche et par l’escalier traversant euphorbes et cactées, surgit un mercenaire couleur kaki, brandissant un fusil : c’est mon frère Robert, qui avait planqué l’arme sous un siège de la voiture 4´4. Il a pu réparer le « Manufrance », avec la pièce que je lui ai rapportée de métrople, et a hâte de l’étrenner. Nous partons donc chasser l’oiseau vert, à travers la mangrove touffue qui longe là le Canal du Mozambique. Le sol est jonché de coquilles blanches (des roches calcaires dans quelques millions d’années ?) ; les palétuviers, malgré la salinité, ont développé de plantureuses ramures : c’est leur métier. Je traîne un peu, pour ne pas alerter le gibier : mais Robert me demande de me taire.
Bien vite, part un coup sonore, suivi d’un bruit sec et mat : un volatile tombe à terre, au dos gris et vert, et au ventre jaune et ocre. Est-ce une perruche ? un petit perroquet ?Son bec est droit et fort, ses pattes roses sont celles des oiseaux ordinaires : c’est bien un pigeon vert. Admirable inventivité de la nature : les pigeons ont pris ici la même livrée que les oiseaux tropicaux.

pigeon 3.doc.gif

Conclusion : non seulement le fusil est réparé, mais il portera bonheur : car son premier coup fut un coup de maître.
*****
(Madagascar, suite)
Ce conte abrégé me paraît fournir une des clés du mystère national : (Ed. Bel Avenir) « Le petit zébu s’étonne de la bosse qui pousse sur son dos ; il interroge sa maman, son meilleur copain, enfin le vieux zébu Zachari, patriarche du troupeau : pas de réponse. Alors il mène l’enquête ; mais ni le lémurien, ni le caméléon, ni la tortue étoilée, ni l’oiseau cardinal ne lui donnent la bonne réponse. Mais c’est destiné aux enfants : il finit bien : et le poisson trompette (autre animal particulier à Madagascar) lui explique que non seulement sa bosse est un organe utile, mais de plus elle le distingue des autres animaux. »



Quelle est ma lecture ? Il n’y a pas de père, le petit zébu n’a pas de papa, qui lui aurait expliqué sa bosse = ouvert le vaste monde. Et de fait, les pères malgaches sont absents ; inexistants ; en fuite… Ils peuvent avoir semé des gosses un peu partout (et précocement), ils s’en f…
La société malgache est dès lors handicapée, car elle est structurellement orpheline. Certes, elle compense par un puissant culte des ancêtres, et de leurs esprits. Mais à nouveau, cette représentation mythique de l’Univers ne donne aucune prise concrète sur le vaste monde. Et les humains se bornet à appliquer de mystérieuses consignes immémoriales, équilibrant les bonnes et mauvaises forces cachées.
Dès lors, pourquoi cultiver son champ autrement ? pourquoi repiquer le riz en ligne droite ? pourquoi délaisser le zébu, pour élever une autre espèce ? Car le zébu est un intermédiaire entre Ciel et terre, presqu’un sacramentaire…
De fait, à l’heure où l’Organisation Mondiale du Commerce discute gravement de l’ouverture des marchés agricoles, on voit encore sur la Nationale 7 (malgache) de minuscules charrettes de coton, tout en bois, tirées par 2 zébus placides. Si le prix de ce coton-là est aligné sur celui du Brésil, de quoi vivra alors la (pseudo) famille malgache ?





*****
(à suivre)
Les saphirs
Jean-marie, hôtelier gérant « le Palace » à Sakaraha, nous guide vers les chercheurs de saphirs. Nous traversons une brousse sèche, où prospérait certainement il y a peu une superbe forêt primitive « de transition », comme à côté dans la réserve de Zombitsé. Malheureusement, c’est bien fini, et l’ambiance est lunaire ; des zébus cherchent un brin d’herbe ou de feuille (en cas de besoin, ils se contenteront des épineuses raquettes des figuiers de Barbarie, éventuellement débarbées par le feu), des gens marchent.
Julien, notre jeune cornak malgache ,couleur chocolat, indique de tourner à gauche : nous y sommes. Le sol est révulsé, et percé tous les 3 mètres de trous larges comme une bouche d’égoût, profonds comme 2 ou 3 hommes : un pauvre diable a percé la latérite à la barre à mine et à la sueur de son front, puis il a rempli des seaux de sables pierreux qu’un acolyte a remontés au bout d’une ficelle de sisal. Ainsi, sur plus d’un hectare, ce n’est que « gruyère ».

saphir trou.gif

Un peu plus loin, nous retrouvons les compères en train de laver le sable dans l’eau de la rivière Fiherenana ; ils scrutent le reliquat de graviers, et reconnaissent des quartz, des grenats, des citrines, mais tout cela n’est que broutilles et n’intéresse pas la société concessionnaire (« World gems », « Antoan saphirs »…) : seuls les saphirs ont du prix.
L’anbiance est joyeuse : des enfants courent partout (45% des habitants a moins de 15 ans ici), leurs mères cuisent du riz et quelques légumes : le combustible est bien sûr le charbon de bois, fourni autrefois par la belle forêt primaire, aujourd’hui, par ses avatars… Si l’un des hommes trouve un saphir, et le vend bien, c’est la prospérité : un tel achètera des zébus accédant ainsi à un bon statut social ; un autre pourra enfin « retourner » le cadavre de son aïeul (c à d. lui rendre un digne culte, dont le prétexte est le changement de son linceul). J’ignore si parmi ces forçats, l’un pense à ouvrir un cybercafé, ou simplement à fonder une ferme laitière avec de solides vaches pie noir, et champs fourragers ; ou à restaurer un cheptel de chèvres mohair (car les tapis du pays, certes en mohair, sont fait avec de la laine d’Afrique du Sud, filée à Péronne [France]et… noués à Ampany).

*****
(Madagascar, suite et fin)

C’est le père Pedro Opéka qui aura le denier mot(« revue de l’océan indien ») : « Nous avons manqué de dirigeants patriotes, honnêtes et humanistes ». « La pauvreté est là, et prend même plus d’ampleur … Je suis optimiste ; un peuple qui chante a de l’avenir ; mais il ne faut pas s’endormir… J’ai toujours dit que, sans la présence des églises, ce pays aurait été comme la Somalie… »
*****
dernières anecdotes :

Les habitants de St Vallier (Drôme) ont offert au gros village de Bezaha (province de Tuléar), une superbe turbine hydro-électrique ; pour faire bonne mesure, ils ont aussi payé le canal de dérivation, qui conduit l’eau à la machine, avec une forte dénivelée. Le tout est inauguré avec joie, pompe et circonstance : Bezaha dispose désormais de courant abondant, gratuit , nuit & jour. Pas de coupure de 5h du matin à 18h, pour économiser le gazole.

Las ! Le beau système s’arrête un jour, et il faut remettre en service le groupe électrogène (et acheter du gazole, cf prix plus haut). Cependant, la turbine est en parfait état : elle tournerait, si l’eau arrivait. Mais voilà : plus d’eau. Que s’est-il donc passé ?

Les préposés à la centrale électrique ont démoli le canal, en effet il est plus ‘juteux’ pour eux de faire tourner le groupe : ils peuvent détourner du carburant, prendre une commission sur les pièces détachées…





Totsi (« la peur », tel est son prénom : sa mère avait une peur bleue quand il est né, des voleurs pillaient le village) a été roué de coups de barre à mine par des malfrats : la nouvelle s’est en effet répandue comme une trainée de poudre : il avait trouvé un rubis. Pas fou, il l’avait avalé.

Mais les ‘charognards’, toujours en veille, l’ont rattrapé et lui ont cassé les bras, des côtes, et les machoires. Epuisé, il se traîne chez Lucien[2] qui parvient à l’amener à l’hôpital de Tuléar (env. 5 h de pistes affreuses). Les médecins sont pessimistes, mais Lucien ne peut attendre, il rentre à la maison d’accueil de son ONG. Il ignore la fin de Totsi.

Quelques mois plus tard, une vieille femme vient le voir : il la reçoit, elle lui offre un poulet (bio, bien sûr) et le remercie, car son fils est guéri. Et, pour faire bonne mesure, elle lui remet un paquet emballé dans du papier journal : c’est le rubis, que Totsi lui donne !

Lucien l’a fait monter en chevalière, ça lui va très bien.


Le mot de la fin


Les « petites histoires » illustrant le détresse de ce pays rempliraient 20 pages : le taxi-brousse qui part avec 2 heures de retard ; l’avenue de l’Indépendance à Tananarive, dont les plaques portent encore le nom de juin 1944 : av. de la Libération, et qui aboutit à une gare superbe, mais désaffectée et interdite au public. Des mendiants, des colporteurs de pacotille partout…
Mais il reste LA JOIE DE VIVRE et LA GENTILLESSE. Les doctrines bouddhiques et chrétiennes enseignent que la pauvreté (peut devenir, si elle est consentie) source de joie ; que posséder n’est pas tout. La Fontaine a également parlé d’un savetier et d’un financier…François d’Assise, ou mère Térésa, ou Gandhi sont des exemples célèbres ; la vie dans l’île aux Lémuriens est moins connue. Sans doute également , les habitants n’ont-ils pas le choix, comme les précédents : mais elle prouve cette vérité. La joie éclaire le fond de beaucoup de regards. En Europe, bien des familles possèdent 2 voitures, 3 télévisions, 5 téléphones (insup)portables, des microordinateurs, mais les yeux sont éteints et le moral angoissé.



Jango & Robert Gault














[1] 1€ = 13.500 francs malgaches (FMG), le salaire mensuel est donc de 18 € environ ; un litre de gazole coûte 0,5 €

[2] le prénom a été changé

Aucun commentaire: